Incandescences colorées : les sculptures de porcelaine de Catherine Crozon
Halos de couleurs qui vibrent dans la lumière, effleurent un mur, s’y condensent ou palpitent entre les parois d’un objet : ainsi se présentent au regard les œuvres de Catherine Crozon. Pour cela, l’artiste travaille la porcelaine, son matériau de prédilection qui, par ses propriétés et la manière dont elle parvient à les mettre en œuvre, offre les conditions propices à cet art de la suspension.
On ne saurait dire d’abord de quoi il s’agit : vases qui n’en sont pas (ils n’ont pas de fond), coupelles à l’apparente instabilité, disques et cercles qui n’ont d’autres fins qu’eux-mêmes. On pourrait s’y laisser prendre. Mais très vite on devine que ces œuvres refusent l’usage : elles le repoussent délicatement aussitôt qu’on aurait envie de s’emparer d’elles.
Catherine Crozon progresse par ensembles de formes : des séries qu’elle entreprend, laisse de côté, puis auxquelles elle revient, et qui constituent autant de familles aux noms significatifs. Émergences, Géologiques, Myriades, … nous en apprennent un peu plus sur son inspiration, issue de la nature et des sensations qu’elle suscite. Mais elles nous parlent aussi de la relation que l’artiste entretient avec la porcelaine, matière vivante, imprévisible, indocile à la cuisson.
Tout part d’un vide. Celui par lequel, originellement, se définit la forme première du pot et qui, techniquement, est indispensable. C’est autour de lui que se construit la pièce, au colombin plat — c’est-à-dire avec des rubans fins. Mais c’est aussi le vide d’où naît toute création, traversé par un rythme et une respiration : certaines pièces s’épanouissent dans la rondeur, d’autres recherchent la verticale ; il y a celles qui s’ouvrent en corolle et celles qui se replient en cocons. Dans tous les cas, la matière semble infiniment ductile. Elle ne se contente pas de donner une forme : elle enveloppe un monde intérieur et définit un espace extérieur. Entre les deux, elle s’offre comme une membrane sensible où les outils et les doigts ont laissé des plissages, des stries, des dépressions, des reliefs, comme si la matière vibrait, animée par des courants aériens ou par l’effleurement de branches.
Blanche à l’extérieur, elle trompe notre vigilance. La paroi intérieure est enduite d’un engobe de couleur vive. Et celle-ci n’est contenue que par les limites que la pièce lui impose, prête à en déborder les fragiles lisières. Le rouge des Rouges gorges semble vouloir jaillir comme de la gueule d’un dragon ; celui des Espaces intérieurs est un foyer de charbons ardents ; les jaunes des Pollen sont du miel en fusion. L’incandescence des couleurs n’est pas réservée au regard de celui qui s’approche. Sous la lumière, les teintes se réveillent, s’enflamment et traversent la porcelaine translucide. Leur aura s’écoule par le fond du volume, s’échappe par leur bouche ouverte.
La série la plus récente, nommée Instants, se compose de rubans de porcelaine — couronnes blanches à la légèreté du papier et que leur couleur intérieure transforme en cercles de lumières. On pourrait les prendre pour des chutes tombées des séries précédentes. Ils font suite à Myriades, constellations disposées sur les murs où la couleur, cette fois, se déploie parfois à l’extérieur de la pièce : la peau de la porcelaine aurait été ainsi retournée comme un gant. Le dedans deviendrait dehors, offert à la lumière changeante du jour.
Car le temps est une composante essentielle du travail de Catherine Crozon : au fil des heures, la couleur s’opacifie ou rayonne. Et puis survient l’instant suspendu : celui où matière, lumière et couleur fusionnent et où le matériau-porcelaine se fait invisible, pur conducteur de lumière colorée.
Anne Malherbe, critique d’art et historienne de l’art.